samedi 25 juillet 2015

Le Conflit Antérieur de Hanche

Les douleurs de hanche (régions pelvienne, inguinale ou trochantérienne) du sportif ont toujours posé des problèmes de diagnostic.

Pour ces sportifs dont les hanches étaient sollicitées dans de grandes amplitudes (arts martiaux, football, danse etc ...), pubalgie, tendinopathie des adducteurs, problème de psoas étaient des diagnostics fréquemment évoqués pour ces soucis de hanches qui semblaient rebelles à tout traitement.

Ce n'est qu'au milieu des années 90 que l'équipe bernoise de Reinhold Ganz a découvert que ces douleurs pouvaient s'expliquer par un conflit entre la partie antéro inférieure de la tête du fémur et la paroi antérieure du cotyle en flexion de hanche.

Ainsi lors des mouvements de hanche de grande amplitude le col fémoral va venir buter sur le pourtour du cotyle entraînant des lésions du labrum puis des lésions cartilagineuses responsables d'une arthrose précoce.





Cette lésion du labrum peut être d'origine traumatique mais le plus souvent elle est liée à des facteurs d'origine anatomique favorisant le conflit en réduisant les amplitudes articulaires.


Grace à l'analyse biomécanique des hanches de ces sportifs, Ganz a décrit deux types de conflits en fonction de "l'anomalie anatomique" responsable.

Le Conflit par Effet Came (CAM effect) :

La tête du fémur n’est pas parfaitement sphérique, elle présente à sa partie antérieure une augmentation de son rayon de courbure.. On retrouve une "bosse antérieure" et un méplat à la jonction entre la tête et le col du fémur; ce qui, en flexion de hanche, génère une zone d’hyperpression localisée sur le cartilage de la paroi antérieure du cotyle. Les mouvements de flexion / rotation interne répétés entraînent alors des lésions de délamination cartilagineuse du cotyle. Ces lésions cartilagineuses peuvent s’accompagner d’un kyste voire d'une désinsertion du labrum ou même d’un kyste intra-osseux. Sur le fémur, on retrouvera une irritation du cartilage au niveau de la tuméfaction qui peut, à la longue, devenir ostéophytique.

Chronologiquement, il faut garder à l'esprit qu'au début des symptômes, le dôme du fémur et la majeure partie du cartilage du cotyle sont intacts. La «bosse» qui est à l’origine du problème n’est pas un ostéophyte mais une véritable dysplasie de la tête fémorale. Les ostéophytes ne vont survenir qu’après et majorer le conflit. La lésion de la partie antérieure du cartilage cotyloïdien va ensuite s’aggraver, la tête du fémur se subluxe, puis les signes d’arthrose se précisent. L’évolution finale est une coxarthrose avec pincement polaire supérieur et une subluxation antérieure bien visible sur le faux profil de Lequesne.





Le Conflit par Effet Tenaille (PINCER effect) :


Ici, l’anomalie morphologique est une proéminence du mur antérieur du cotyle qui vient ainsi trop couvrir la tête fémorale. Les causes principales sont la rétroversion cotyle et la coxa profunda. Cela entraîne une limitation de la flexion de hanche par un contact anormal précoce entre le col fémoral et le rebord acétabulaire trop proéminent prenant "en tenaille" le labrum qui souffre en premier de ce conflit.  Les lésions cartilagineuses sont plus diffuses et se limitent à une bande étroite le long du rebord acétabulaire. Ces microtraumatismes répétés induisent la croissance d'os à la base du labrum qui plus tard s’ossifie. En flexion maximale, la tête fémorale peut se décoapter et entraîner des lésions postérieures sur la tête du fémur dans 2 cas sur 3 et sur le cotyle 1 fois sur 3. Quand il prédomine, ce mécanisme explique l'arthrose postéro-inférieure de la hanche.




Entre les conflits par effet came et par effet tenaille les lésions cartilagineuses sont totalement différentes car les mécanismes physiopathologiques diffèrent. 

En flexion de hanche, la came vient créer une zone d’hyperpression sur le cartilage et repousse en dehors le bourrelet entraînant une séparation avec le cartilage. Le labrum est toujours fortement fixé au cotyle par sa face externe. Les lésions cartilagineuses peuvent s’étendre dans le cotyle profondément.

Dans l’effet tenaille, les lésions sur le cartilage restent proche du labrum et ne s’étendent pas dans le cotyle. C’est le labrum qui souffre le plus.

Le meilleur candidat au conflit antérieur est le patient  qui présente à la fois une absence de sillon à la jonction tête col et une rétroversion du cotyle (conflit mixte)  et qui pratique un sport sollicitant la hanche dans de grandes amplitudes. C’est le terrain privilégié de la coxarthrose précoce (avant 30 ans)



Diagnostic Clinique :

Le patient type est jeune et pratique un sport où l'articulation de la hanche est soumise à de grandes amplitudes en flexion (Arts martiaux, aviron, danse, escrime, football...). 

La douleur débute souvent insidieusement au niveau inguinal, le patient décrit une "gène" en particulier lors de la flexion de hanche; elle est parfois aussi décrite au niveau des adducteurs ou encore au niveau du grand trochanter voire même au niveau du fascia lata. Les patients peuvent ressentir des douleurs en position assise basse (canapé, voiture, chaussage), ils peuvent aussi se plaindre de "blocages" ou de craquement. Le repos sportif et/ou la prise d'anti inflammatoires peut améliorer les symptômes mais ils récidivent dés le retour aux activités habituelles.

Le conflit antérieur de hanche étant une pathologie décrite récemment, il n'est pas rare d'avoir à faire à des patients qui ont été diagnostiqués différemment (pubalgie, tendinopathie des adducteurs, tendinopathie du moyen fessier ...) mais qui ne répondent pas favorablement aux traitements. Lorsque le patient évoque des douleurs en flexion de hanche pendant ou après l'effort, il convient de penser au conflit fémoro-acétabulaire.
Dans les deux types de conflit (Came ou Tenaille) la douleur inguinale connue du patient sera reproduite par un impingement test en flexion-adduction-rotation interne, c'est le test principal du conflit fémoro-acétabulaire. Ceci traduit le plus souvent des lésions de la paroi antérieure du cotyle ou une lésion du bourrelet.

Le conflit de type CAME touche plutôt les hommes vers la trentaine mais il peut parfois débuter beaucoup plus tôt (20 ans); en plus de la reproduction de la douleur en FRI, on retrouvera des limitations d'amplitude en flexion ainsi qu'en rotation interne à 90° de flexion lors de l'examen clinique. Les patients peuvent aussi présenter une gène irradiant au grand trochanter. Il faut noter que la dysplasie à la jonction tête/col est bilatérale dans plus de 50% des cas alors qu'une seule hanche est en général symptomatique.

Le conflit de type TENAILLE intéresse plutôt une population féminine avec une apparition vers la quarantaine. Les amplitudes articulaires ne sont pas significativement diminuées et les douleurs décrites sont des douleurs aiguës, occasionnelles, déclenchées à la marche après une longue période de repos et/ou en position de flexion importante de hanche.  La douleur provoquée en Extension-Abduction-Rotation externe se retrouve principalement lors des lésions postérieures du cotyle.




Le reste de l'examen clinique analysera les amplitudes articulaires comparatives des 2 hanches; recherchera des douleurs au niveau des enthèses ou des jonctions myo-tendineuses, une laxité anormale, des ressauts douloureux; et il visera à éliminer les pathologies abdominales, rachidiennes et sacro-iliaques.

Imagerie :

Radiographie :

C'est un examen fondamental qui est souvent malheureusement mal interprété au début de la symptomatologie, le radiologue s'attardant à rechercher des signes d'arthrose qui ne sont encore pas présents.

Cependant le bilan radio est fondamental chez le patient de moins de 50 ans souffrant de la hanche; il doit comprendre un bassin debout de face, un faux profil de Lequesne, une Incidence de Dunn.

Le cliché de face permet de vérifier l'angle de couverture cotyloïdienne externe (angle VCE) qui s'il est supérieur à 30° est en faveur d'un conflit de type tenaille. On recherchera alors le signe du croisement, qui indiquera une rétroversion du cotyle. Cela affirmera la conflit type tenaille. Il pourra mettre en évidence une came importante (aspect en crosse de pistolet).







Le faux profil de Lequesne permet quand à lui de mesurer l'angle 
de couverture cotyloïdienne antérieure (angle VCA) qui s'il est supérieur à 30° est aussi en faveur d'un conflit de type tenaille.

L'incidence de Dunn, est la meilleure incidence pour montrer un conflit de type came. Il mettra en évidence un "bump" à la jonction tête/col, un défaut d'offset ou encore un angle alpha augmenté (>50°).




Scanner - IRM :

Le scanner et l'irm simples manquent de précision pour être intéressants; il conviendra de préférer leur utilisation avec injection de produit de contraste, arthro scanner et arthro irm.  Ceux-ci, plus précis, pourront mettre en évidence des modifications du signal à la jonction tête/col, des lésions du labrum, des modifications du signal de l’os sous-chondral donc des déformations osseuses, cartilagineuses associées ou isolées.Les coupes axiales du col vont permettre de mesurer l'angle alpha et de localiser plus précisément la came fémorale. Les coupes axiales du bassin vont rechercher une rétroversion du bord supérieur du cotyle.


Traitement :

Traitement médical : 

La prise d'antalgiques et d'anti-inflammatoires ne présente d'intérêt que si le diagnostic a été correctement posé et que la mise au repos a débuté. Dans le cas contraire, cela ne fera que masquer les symptômes, le sportif continuant son activité cela sera délétère pour l'articulation.

Il en va de même pour les infiltrations ou la visco supplémentation qui n'ont pas fait leurs preuves.

La mise au repos sportif et la rééducation sont les seuls traitements à proposer dans l'attente du geste chirurgical.

Kinésithérapie :


La rééducation peut être une alternative à la chirurgie dans les rares cas où la prise en charge est très précoce et ou le sportif évite le geste néfaste, ce qui se résume souvent à un changement de sport. Elle sera toujours insuffisante dés que les lésions seront un peu évoluées ou chez le sportif de haut niveau qui ne pourra pas cesser le geste déclenchant.

Elle peut s'articuler de la sorte :

- Entretien des amplitudes articulaires par : mobilisation passive, décoaptations, rodage sur vélo selle basse.

- Travail musculaire : Etirements (Psoas, Ischios jambiers, Pyriforme, Fessiers, Adducteurs, Rotateurs de hanche) , postures en extension, contracté relâché. Renforcement concentrique des extenseurs de hanche et des rotateurs et exentrique des fléchisseurs.

- Lutte contre la douleur : Massages, physiothérapie (Tens, Capillarisation, Tecar thérapie...).

 Même si la rééducation n'évite que très rarement le geste chirurgical, elle demeure très importante pour préparer le patient à la chirurgie et ses suites dans les meilleures conditions possibles.

Chirurgie :


A l'origine Ganz a proposé une technique à ciel ouvert avec luxation complète, Laude a ensuite développé une technique avec mini open et arthroscopie, aujourd'hui on s'oriente de plus en plus vers l'arthroscopie pure.

Le but de ces différentes techniques opératoires reste le même, sauver la victime et se débarrasser du coupable. La victime étant le labrum ou le cartilage et le coupable la came ou la tenaille.

Sur le cartilage ou le labrum, le travail consiste en l'ablation des parties lésées. Ensuite on va s'attacher à supprimer la came ou la tenaille, on réalise une exérèse de la "bosse" et/ou une résection de la partie du cotyle responsable de l'excès de couverture après, si nécessaire, désinsertion du labrum que l'on viendra ensuite, bien entendu, réinsérer.

Cette chirurgie, y compris par la technique de Ganz se fait sans aucune section musculaire, ce qui permet une récupération complète de la fonction de la hanche.

Les suites opératoires sont assez rapide l'activité quotidienne normale est reprise en quelques semaines, la reprise complète du sport est plus tardive et peut prendre jusqu'à une année.

Dans les cas où les lésions sont déjà trop avancées (pincement articulaire), il n’y a malheureusement pas grand-chose à faire. Il conviendra de mettre en place le traitement médical classique d’une coxarthrose et d'évoquer la prothèse à plus ou moins long terme.